Vidéosurveillance et violence policière : les procédures judiciaires

La législation belge définit ainsi la vidéosurveillance : « On entend par caméra de surveillance tout système d’observation fixe ou mobile qui collecte, traite ou sauvegarde des images dans le but de prévenir, constater ou déceler les délits1 ». Comment cela s’applique-t-il quand il s’agit de violences policières, donc de policier.es possiblement incriminé.es ?

Que ce soit du côté des personnes mortes sous l’œil de caméras en cellules, des images partielles ou inexistantes, ou bien des captures d’écrans commentées qui arrivent devant les juges, l’ensemble de la chaîne des images issues des caméras de surveillance pose question lorsqu’il s’agit de violences policières, aussi bien pour les prévenir que pour les constater et les condamner.

PRÉVENIR ?

Les images de vidéosurveillance ne sont pas regardées en direct

« J’avais bien trop de travail ce matin-là pour observer ces images. »
Une agente du service dispatching à propos des images de la cellule où s’est pendu Dieumerci Kanda

Le service de dispatching qui aurait dû regarder les images de la cellule dans laquelle s’est pendu Dieumerci Kanda le 7 février 2015 surveillait aussi les 750 caméras de rue de la zone de police Midi, rapporte le journal Médor2.

Sourour Abouda, Mohamed Amine Berkane, Ilyes Abbedou, Ibrahima Barrie, Joseph Chovanec, Simon Bachelard, Dieumerci Kanda, Jonathan Jacob, Hassan Chrikri  : tout.es sont mort.es en cellule devant des caméras de surveillance.

Certain.es ont fait un malaise ou se sont suicidé.es sous l’œil des caméras, ne suscitant aucune réaction des policier.es. « On filme, mais on regarde pas ce qu’on filme !» déclare l’avocat Vincent Lurquin. Il nous raconte, à propos d’Ilyes Abbedou : « On l’a laissé toute la nuit, on l’a laissé jusqu’à 3h de l’après-midi. À 9h du matin on lui a donné son petit déjeuner. Moi j’ai vu les films, vous voyez très précisément qu’il n’a pas bougé depuis qu’il est là. Il y a son pull qui est là comme ça, on voit un peu de son dos, et on le voit pendant des heures et des heures… et on lui apporte son petit déjeuner. Et on va lui rechercher son petit déjeuner qu’il n’a pas mangé… puisqu’il était mort ! ». Selma Benkhelifa, l’avocate de la famille de Sourour Abouba, dénonce également ces caméras qui se sont pas regardées, elle évoque l’homicide involontaire : « Avec ces images, on peut déjà retenir une non-assistance à personne en danger, voire un homicide involontaire par défaut de précaution3 ». (Précisons que par ailleurs, la famille n’a pas eu accès à toutes les images et que des zones d’ombre persistent quant aux circonstance de la mort de Sourour Abouda ; l’affaire est toujours à l’instruction).

Des violences commises sous l’œil des caméras

D’autres personnes ont été frappées à mort par la police malgré la présence des caméras et des collègues qui pouvaient les regarder. Pensons à Jonathan Jacob, qui est mort des suites des coups reçus dans sa cellule, ou à Joseph Chovanec, qui a été maintenu par un plaquage ventral durant 16 minutes dans sa cellule, pendant qu’une policière faisait un salut nazi. Ils et elle ne semblaient nullement se soucier d’être filmé.es, et leurs collègues du dispatching ne sont pas intervenus. La présence de caméra n’a pas dissuadé les policier.es.

L’avocat de la famille d’Ibrahima Barrie, Alexis Deswaef, nous raconte : « Il y a les images du local de fouille, où on voit qu’il est en train de mourir et en fait les policiers ne réagissent pas. Ils sont dans un local de 3 mètres sur 3, deux policiers et Ibrahima qui est menotté. Ibrahima tombe de sa chaise et il reste dans une position très inconfortable, la tête contre le mur. Pendant plus de 6 minutes on ne va pas voir ce qu’il y a. Ils mettent encore 2 minutes à attendre avant de faire un massage cardiaque, ils n’enlèvent même pas les menottes dans le dos pour faire le massage cardiaque. Comment peut-on faire un massage cardiaque à quelqu’un qui est menotté dans le dos ? Et dans leurs explications ils disent ‘Il faisait semblant de s’évanouir et de mourir. Chaque fois c’est le même mode de défense, dire ‘Il faisait semblant. Peut-être qu’à un moment ils ont cru qu’il faisait semblant, imaginons, mais à un moment donné ils peuvent quand même aller checker si il respire encore ! Surtout qu’au début, on voit qu’il se sent déjà mal, puis il est contre le mur, assis, la chaise contre le mur, et il a sa tête qui tombe à l’avant, il est pas bien. Ils le poussent une fois et la deuxième fois ils le poussent violemment contre le mur et on voit que ça tête cogne le mur, ce n’est pas de ça qu’il mort, mais on voit quand même qu’il y a une violence dans les images. »

Le sentiment d’impunité

Ces violences commises sous l’œil des caméras reflètent un fort sentiment d’impunité de la part des policier.es. Ce sentiment est évident quand on examine le dossier de la mort de Joseph Chovanec. L’avocate Selma Benkhelifa raconte : « Y’a quelqu’un qui est en train de mourir et toi tu trouves que la chose intelligente à faire c’est un salut nazi devant la caméra. Elle s’est mise devant la caméra pour le faire. Genre « c’est fun ». Ça, ça ne peut s’expliquer que par un sentiment d’impunité totale. Elle sait qu’elle est filmée, et elle s’en fout. C’est un degré d’impunité où on fait même plus semblant, on s’en fout en fait. Et on a raison de s’en foutre, puisque, jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de poursuites. Contre personne. [] Le parquet de Mons a menacé de poursuivre la veuve de M.Chovanec parce qu’elle a diffusé les images où on voit cette femme flic qui fait un salut nazi. Cette policière n’avait, au jour où le parquet a menacé la veuve, fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire. Donc toi t’as depuis trois ans des images où on tue un mec – même si vous dites qu’il s’est étouffé parce qu’il avait un problème cardiaque, ils étaient quatre dessus, donc ils ont quand même un peu aidé son problème cardiaque – ils tuent un mec et y a une nana qui s’amuse à faire un salut nazi pendant que ses collègues tuent un mec : ça c’est les faits ! Mais l’infraction que tu trouves la plus grave, qu’il faut poursuivre, c’est la veuve du mec qui donne cette image à un journaliste, ça c’est le truc grave ? Ça veut dire, en Belgique, si on reprend les États-Unis, c’est le type qui a filmé la scène George Floyd qui est poursuivi et pas le policier qui a tué George Floyd. On a tendance à croire – et c’est important de le dire et de le répéter – que en Belgique, quand même par rapport la France et aux États-Unis, ça va, mais en fait : non. Ça va pas du tout ! On a un degré de violence institutionnelle… »

Dans toutes ces affaires, les caméras de surveillance ont nullement permis de prévenir : elles n’ont pas servi à secourir des personnes qui avaient besoin d’aide alors qu’elles étaient enfermées sous la responsabilité de la police, ni empêchées des policiers de frapper ou de tuer.

CONSTATER ?

Pour « constater » un délit, il faudrait avoir accès à des images satisfaisantes. Pourtant, dans de nombreuses affaires de violences policières, les caméras n’étaient pas branchées, n’ont pas fonctionné, ont présenté un problème technique, ou bien l’image n’avait pas le bon cadre ou était partiellement obstruée, empêchant une analyse précise de la situation.

Des caméras qui ne fonctionnent pas

Caméras non branchées, cassées, images écrasées, problème d’horodateur, vidéos avec des sautes… des situations très courantes, aux dires des avocat.es que nous avons rencontré.es. En particulier dans les affaires de violences policières, il est troublant de voir que les caméras qui auraient pu incriminer des policier.es ne fonctionnaient souvent pas.

Ainsi, les images des 11 minutes qui précèdent la mort de Soulaïmane Archich Jamili ont disparues. Youssef Archich, son oncle, nous a raconté être allé voir les images au commissariat avec le père de Soulaïmane. Les policier.es leur ont d’abord montré les images d’une caméra dont l’axe ne permettait pas de voir l’interpellation des jeunes gens sur le quai du métro. On n’y voyait Soulaïmane qu’à la fin de la scène, au moment où il est écrasé par le métro. La famille voulait savoir ce qu’il s’était passé avant, et a amené Soulaïmane à se retrouver sur les rails. Ils ont finalement vu un autre axe, d’une autre caméra, sur lequel ils pouvaient voir Soulaïmane avant sa mort, lorsqu’il est interpellé par les policier.es et agents de la STIB, mais l’image est coupée soudainement : « Les 11mn de vidéo qui étaient les plus compromettantes pour les policiers, puisqu’ils rentrent physiquement en contact avec les enfants : on les voit pas. La STIB a répondu simplement que ces images avaient été écrasées, sans aucune autre explication. On ne voit que ce qu’ils ont bien voulu nous laisser voir », témoigne Youssef Archich4.

Vincent Lurquin, l’avocat de la famille de Moad Touile, qui a été tabassé par la police en 2013 alors qu’il avait 14 ans, nous raconte également comment des images ont subitement disparu : « J’ai été à l’administration communale et on a été voir, la bourgmestre et moi, ce qu’il en était par rapport à ces caméras du commissariat. Parce que dès que vous entrez il y a une caméra qui vise la sortie, et toutes les cellules sont filmées. Moad avait dit qu’il avait reçu des coups encore là-bas. Les policier.es disaient que ce n’était pas vrai. […] Alors on a regardé avec Schepmans [la bourgmestre] et j’étais embêté parce qu’effectivement, cellule pas cellule, il y avait rien. Mais moi j’avais quand même tendance à croire mon client, je me disais ‘Pourquoi il m’a raconté ça? Il avait déjà sa semelle… ‘ [une marque de semelle laissée au visage, attestée par un médecin]. Alors je fais attention. En dessous vous avez le time-code et je vois qu’entre deux cellules, entre le moment où on le fouille et entre le moment où il est amené à la cellule, il y a douze minutes qui manquent ». La police parlera d’un problème d’horodateur, d’une différence de time-code entre les caméras.

Un autre avocat nous a montré une vidéo issue de la caméra de surveillance d’un hôtel, vidéo qui avait été saisie dans un dossier de violences policières. Une coupe est visible dans la vidéo. Le PV du comité P. qui décrit l’image stipule : « Il y a une coupure entre 14h39 et 14h43, soit précisément au moment donné ou l’incident principal serait survenu, étant donné qu’aucune coupure aussi large n’est constatée par la suite à la fin de l’intervention ».

Cette coupe est expliquée ainsi dans le PV : « La caméra présente enregistre sous détection de mouvements, ce système n’est pas remarquablement précis et il peut donner lieu à des failles. Dans la période qui nous intéresse, avec les coins d’ombres, la distinction en couleur est moins précise et la détection de mouvements se fait plus difficilement. »

L’avocat nous montre la vidéo en récusant cette analyse : « On voit que là ils restent dans l’ombre et que ça reste filmé… », il conclut : « Donc personne ne croit ça. [] Moi j’ai dit au procureur en charge de ce dossier : Ils ont coupé là dedans, les policiers.’ Le procureur m’a répondu : Que voulez-vous que je fasse ? Les policiers me disent qu’il n’y a rien de plus, et que c’est dû à la caméra qui se serait… je sais rien faire’. Il y a des policiers qui se foutent bien de votre gueule, désolé’, je lui ai répondu. Voilà, et c’est classé sans suite. »

Dans ces affaires comme dans d’autres, il est saisissant de constater que ce sont précisément les minutes de vidéos les plus cruciales pour comprendre ce qui s’est passé qui manquent aux enregistrements.

Des images non lisibles

Contrairement à une caméra présente pour cadrer une situation, comme c’est le cas lorsqu’un témoin filme avec son téléphone, les caméras de surveillance sont souvent fixes, et installées au préalable. La scène n’est alors pas forcément cadrée, et bien souvent, une partie de ce qui s’y joue se passe en hors-champ, en dehors du cadre de la caméra. En outre, le champ de la caméra s’avère souvent partiellement bouché par un premier plan (une camionnette garée là, des arbres, ou encore… des décorations de noël qui obstruent la caméra, comme nous l’a rapporté un avocat).

Dans le PV présenté dans la page ci-contre, il est fait mention d’une première caméra qui ne fonctionne pas : «  la société SECURITAS nous informe que la dite caméra n’est pas reliée et n’est pas en fonction », notifient les enquêteurs. Parmi les deux caméras qui sont analysées par les policier.es, le cadre de la première laisse à désirer : les policier.es qui rédigent le PV précisent que « l’action n’est pas visible vu l’angle de la caméra », tandis que la seconde n’est pas bien placée par rapport à l’action, et que des arbres cachent le peu qui aurait pu intéresser les enquêteurs.

De fait, ceux-ci concluent leur rapport d’analyse en ces termes : « En résumé, aucune des caméras n’apportent des renseignements complémentaires sur les faits » [nous citons tel quel le rapport, incluant les fautes d’orthographes].

Ces problèmes de qualité rapportés par les enquêteurs peuvent parfois être interpellants.

Nous avons ainsi suivi une affaire dans laquelle un jeune homme avait failli être tué par une voiture de police l’ayant violemment percuté et blessé très grièvement. Pourtant, comme c’est souvent le cas dans les affaires de violences policières, c’est lui qui a été poursuivi, et cité à comparaître pour 12 préventions, dont « conduite sans casque » et « refus d’obtempérer ». Le « recours à une force potentiellement meurtrière » non nécessaire a conduit son avocate à demander la saisie des images des caméras de rue. Les policier.es en charge de l’analyse des images lui ont remis ces conclusions : « Nous ne pouvons donner plus d’explication sur l’accident au vu des images car les feux bleus du véhicule de police aveuglent la caméra ».

En considérant l’emplacement des caméras (en hauteur) et leur grand angle, c’est surprenant d’imaginer un gyrophare bouchant l’image au point de rendre la lecture de celle-ci inopérante. La partie civile a alors souhaité regarder les vidéos pour apporter – le cas échéant – une contre-expertise. L’accès aux fichiers n’a été possible qu’après un parcours du combattant qui a duré plusieurs mois et qui a provoqué plusieurs reports d’audience.

Pour que les caméras de surveillance puissent aider à « constater » des délits, il faudrait non seulement qu’elles enregistrent des images opérantes, mais également que les deux parties puissent avoir accès à celles-ci au cours des procédures judiciaires.

CONDAMNER ?

Les captures d’écran

Les images de vidéosurveillance sont saisies selon l’appréciation du ou de la procureur.e du Roi en charge de l’enquête. Cela peut également faire suite à la demande d’un.e avocat.e de victime de violences policières (voir, ci-dessous, les difficultés pour ceux-ci pour récupérer les images). Les images peuvent alors être un élément de preuve parmi d’autres, mais c’est sous la forme d’un rapport papier où figurent des captures d’écran commentées par les policier.es en charge de l’enquête qu’elles sont versées au dossier, et c’est de cette manière que les magistrat.es prennent connaissance des vidéos.

Les images sont alors :
– sélectionnées
– figées
– interprétées

Elles sont assorties d’un commentaire écrit et d’un légende, qui guident nécessairement leur lecture. Dans le PV ci-contre, on peut ainsi lire : « Un 7ème policier arrive en marchant [..] recule tout en portant sa main à la hanche » – comment sait-t-on qu’il recule sur une capture d’écran ? A été ajouté un encart fléché qui dirige le regard : « Policier main à la hanche ».

Le texte influence toujours l’interprétation de l’image. Le réalisateur Chris Marker s’était ainsi employé à le démontrer dans son film Lettre de Sibérie, où il commente une même séquence d’images avec trois voix off de registres différents. À chaque fois, ce n’est pas la même chose que l’on voit, selon la manière dont le texte guide notre regard. Voir ici.

Avec les captures d’écran commentées présentes dans les PV, la lecture de la vidéo est guidée à plusieurs niveaux : l’image est sélectionnée, extraite de son contexte, fixée, commentée et décrite. Les vidéos sont ainsi relues, réinterprétées. Dans certain PV (cf extrait ci-dessus), il n’y a même pas de capture d’écran, juste une « analyse d’images caméras » écrite.

L’interprétation des images : le « regard blanc »5

Cette interprétation des images ne peut s’extraire de son contexte, notamment de rapports de domination marqués par des schèmes racistes et la prégnance d’un regard blanc. Elsa Dorlin en avait déjà fait l’analyse à partir des images de l’arrestation de Rodney King (un homme noir tabassé par la police à Los Angeles en 1991). Elle relève que ces images qui furent accueillies comme l’évidence de la violence policière, ont été vues a contrario par le jury comme une scène de légitime défense montrant la « vulnérabilité des policiers » face à cet homme noir : « King ne peut pas être perçu comme un corps qui se défend, il est vu a priori comme un agent de la violence »6.

Les membres du comité « Justice pour Lamine Bangoura » font une lecture similaire et montrent les mécanismes de criminalisation du corps noir pendant l’arrestation et le meurtre de Lamine Bangoura7. Ce corps est perçu comme ayant une force surhumaine qu’il faut maîtriser. Ils montrent aussi comment cette vision a terni tout le procès. En entendant les râles d’agonie de Lamine Bangoura, sur la vidéo filmée par l’assistant de l’huissier intervenu chez lui, la cours de cassation de Gent parlera de « rugissements »8.

L’interprétation qui est faite des images par les policier.es est nourrie de ces représentations racistes. Et si les vidéos parviennent malgré tout dans les mains des juges, leur lecture sera vraisemblablement ternie par ce regard blanc qui reste aujourd’hui dominant.

La parole des policier.es

Dans plusieurs affaires le témoignage des policier.es semble questionnable, malgré le fait qu’ils et elles soient assermenté.es. Ainsi, l’avocate Selma Benkhelifa nous montre un rapport d’analyse audio, où l’on voit une waveforme et sa description :

L’avocate commente : « Le policier et ses collègues ont dit qu’il y avait eu des injonctions entre les différentes détonations. C’est juste pas vrai. Leurs déclarations sont fausses. Le policier dit Ben si, et t’as un jugement qui dit : Ben si le policier le dit, c’est que c’est vrai. Même avec une image qui n’est pas sujette à interprétation. Là, c’est pas sujet à interprétation quand même. Il n’y a pas d’interprétation possible : y a pas eu d’injonction. Les policiers qui disent Y a eu des injonctions, ils mentent. »

Les images de caméras de surveillances parviennent aux magistrat.es sous la forme d’un rapport papier rédigé par des policiers qui commentent des captures d’écran. Ce procédé biaise la lecture des images. D’autant plus dans une société qui est déjà guidée par un « regard blanc » et où la parole des policier..es ne semble pas toujours de bonne foi lorsqu’il s’agit de violences policières. Il est alors crucial pour les avocat.es de victime de violences policières d’obtenir les images afin de pouvoir en proposant une contre-analyse.

La difficulté d’obtenir les images pour la partie civile

L’accès aux images pour les avocat.es de la partie civile est compliqué : il faut réussir à les faire saisir avant qu’elles ne soient effacées, puis réussir à les récupérer au greffe et à les visionner.

> Les délais de conservation

Les règles concernant la conservation et l’accès aux images dépendent de s’il s’agit de caméras privées (soumise à la « loi caméra9 ») ou de caméras « utilisées dans la cadre de missions de police », donc aussi bien les caméras fixes que les caméras mobiles telles que les bodycams, qui sont soumises à la loi sur la fonction de police (LFP)10.
– Dans le premier cas, le délai maximum de conservation des images est de 30 jours11.
– Dans le deuxième cas, les images peuvent être conservées maximum 12 mois mais leur accès ne pourra avoir lieu que le premier mois, dans des affaires traitées par la police administrative, 12 mois pour la police judiciaire.

Cependant, ces lois encadrent le temps de conservation maximal des images, non minimal. Très souvent, lorsque les avocat.es en demandent la saisie, ils et elles se voient répondre que les images ont été effacées. Les capacités de stockage des images dans les serveurs de la police expliquent, notamment, pourquoi les temps de conservation sont en réalité très courts.

L’obtention des images s’avère souvent être une course contre la montre. L’avocat Alexis Deswaef nous raconte : « C‘est le réflexe qu’il faut avoir comme avocat, on dépose une plainte chez le juge d’instruction et il faut en parallèle demander au procureur tout de suite de mettre les images à l’abri, les sauvegarder, parce que souvent ces images sont gardées que 30 jours, ou un certain délai, et s’il faut passer par la mise en instruction et les délais que ça prend, les images sont déjà effacés. Il faut avoir les bons réflexes comme avocat et dire : Même si je dépose une plainte avec constitution de partie civile, ça va prendre un peu de temps avant qu’un juge soit effectivement saisi, en parallèle je dois demander au procureur de garde de saisir telles et telles images’. »

> Le stockage et l’accès aux images

Une fois que les images ont été saisies, encore faut-il que les avocat.es puissent y avoir l’accès, et c’est également un parcours du combattant. Elles doivent être déposées en tant que pièce à conviction, ce qui est loin d’être la règle. Ci-dessous, un avocat dénonce dans ses conclusions l’absence du dépôt des images.

Une fois que les images sont effectivement au greffe, les avocat.es peuvent aller les consulter. C’est une démarche qui n’est pas courante car elle prend du temps et ne porte pas souvent ses fruits. Nous avons accompagné une avocate au greffe de la police de Bruxelles et avons pu observer les obstacles encore rencontrés à cette étape-ci : c’est sur un CD-ROM que les images avaient été copiées dans un format très peu courant. Après avoir essayé en vain d’installer des logiciels pour essayer d’ouvrir le CD-ROM sur son ordinateur personnel, l’avocate a demandé l’assistance d’une employée qui a accepté d’offrir son aide. Cependant, si les ordinateurs du greffe ont bien le logiciel qui permet de lire ces supports, la vidéo s’est avérée corrompue.L’avocate a alors dû faire reporter l’audience pour demander qu’un nouveau CD-ROM valide soit déposé au greffe. La deuxième fois où elle y est retournée, le CD-ROM était encore corrompu et la vidéo n’était toujours pas visible et l’avocate a dû demander de nouveau un report d’audience.

Un avocat nous explique qu’il y a une incompatibilité informatique entre le système du parquet et celui de la police : le format utilisé pour les fichiers de la police ne sont pas compatibles avec les ordinateurs du greffe. On ne peut rien installer sur ceux-ci qui sont protégés, il faut alors renvoyer les vidéos pour changer le format. L’avocate Joke Callewaert nous dit à ce propos : « Le problème c’est qu’il y a plein d’avocats qui font pas ces démarches, d’aller voir la vidéo, de pousser auprès du juge pour demander à voir la vidéo parce que ça énerve les juges. »

> Le visionnage des vidéos pendant les audiences

Aucun visionnage d’images ou de vidéo n’est prévu pendant les jugements. Il n’y a pas de matériel disponible pour cela en Belgique. Si l’avocat.e de la partie civile souhaite montrer une vidéo, il ou elle devra en faire la demande, ce qui est souvent refusé car le ou la juge estime que cela prendra trop de temps. Si c’est accepté, l’avocat.e doit apporter son propre ordinateur. Avocat.es, juge, greffier, procureur.e, etc. se tassent alors derrière l’ordinateur personnel de l’avocat.e pour visionner et écouter la vidéo, avec la qualité que l’on peut imaginer.

Les délais de conservation et le stockage des vidéosurveillances rendent leur accès très difficile pour les avocat.es de victimes de violences policières qui souhaiteraient regarder par eux même les images et non pas seulement se fier à un rapport écrit agrémenté de captures d’écran. Les magistrat.es devront alors se baser seulement à ce rapport d’analyse écrit par des enquêteurs policiers.

Pour conclure…

« Imaginer qu’on va résoudre un problème de société aussi profond que l’impunité de la police avec des trucs techniques… c’est illusoire. »

Selma Benkhelifa

Tant du côté de la chaîne technique, que de celui de la chaîne juridique, les obstacles sont nombreux pour que les images policières – issues des caméras de surveillance, mais aussi des bodycams – puissent prévenir ou permettre de constater, voire condamner, des violences policières. Certain.es militant.es évoquent les angles morts des caméras des commissariats ou l’absence de caméras dans les fourgons et dans le local de fouille, mais il nous semble que ce n’est pas la multiplication des caméras qui résolverait les obstacles inhérents à notre système juridico-policier. Le contre-pouvoir se situe peut-être davantage du côté de la société civile, avec les images filmées au téléphone par des passant.es, des témoins, des victimes, et diffusées sur les réseaux sociaux ou dans des journaux indépendants.

Pour poursuivre

– dossier de Police Watch (LDH) en collaboration avec l’Equality Law Clinic : « L’apport des preuves audiovisuelles en manière de violence policières » https://policewatch.be/files/Lapport_des_preuves_audiovisuelles_en_matiere_de_violences_policieres.pdf

1 https://www.belgium.be/fr/justice/respect_de_la_vie_privee/surveillance_camera

2 https://medor.coop/nos-histoires/autopsie-dune-etrange-mort-en-cellule-justice-prison-police-bruxelles-suicide/episodes/qui-devait-surveiller-dieumerci-plainte-avocat/

3 Selma Benkhelifa cité par le journaliste Arthur Sente pour Le soir – 07/03/2023

4 https://radiorivewest.wordpress.com/2016/02/19/quefaitlapolice01-soulaymane-a-2-ans-deja/

5 Expression empruntée à Nordine Saïdi, fondateur de Bruxelles Panthères.

6 E. Dorlin, Se défendre, Une philosophie de la violence, ed. Zones, 2017.

7 Lamine Bangoura a été tué à son domicile par huit policiers en 2018. « La Belgique, pays de non lieux. Innocence raciale et négrophobie judiciaire ».

8 Comité Justice pour Lamine Bangoura, « Déconstruire le regard blanc », intervention de Nordine Saïdi à la table ronde ronde « Impact d’image », Bruxelles, 2022.

9 https://www.besafe.be/fr/loi-camera

10 https://www.besafe.be/fr/loi-camera/lfp-enregistrement-conservation-et-acces-aux-images

11 Ce délai peut être prolongé à trois mois pour des lieux qui peuvent présenter un risque particulier pour la sécurité tels que les gares, les aéroports, les sites nucléaires, les domaines militaires, les établissements pénitentiaires.

Exemple d'un procès verbal avec des captures d'écran légendées