Le copwatching
« Si on veut jouer sur les mots, nous surveillons les surveillants (…) mais nous on surveille juste ceux qui surveillent et ils n’aiment pas ça, ils nous le disent, ils nous le crient à la figure et ils nous le font sentir.»
Site ‘Copwatch’ France (cité par F. Tréguer1)
DÉFINITION
Le copwatching, littéralement « regarder/surveiller les flics », désigne la prise de vue et la diffusion d’images de policier.es dans l’exercice de leur fonction. Ce terme renvoi initialement davantage à une organisation collective qu’à des pratiques individuelles.
« Patrouiller à plusieurs par groupes affinitaires dans un quartier, jamais seul – vous vous feriez immédiatement embarquer pour ‘outrages’, être visible et en groupe, bien sûr les flics n’aime pas ça, c’est sûr mais aucune loi ne vous empêche de vous balader en groupe avec des caméras vidéo. »
Groupe français « Copwatch Nord IDF»
L’objectif peut être triple, amenant des enjeux et des usages différents :
- la prise de vue, pour dissuader les policier.es d’utiliser une violence non proportionnelle ou non légitime
- la diffusion, pour pouvoir dénoncer les exactions de la police
- la conservation et le stockage, afin d’avoir des preuves pour pouvoir porter plainte ou pour se protéger d’une accusation portée par la police
RETOURS HISTORIQUES
Cette pratique est essentiellement implantée aux États-Unis, Canada, Royaume-Uni et en France.
> Le copwatching voit le jour aux États-Unis en février 1990, dans le sud de Berkeley, puis à Minneapolis. Mais c’est l’année d’après, en 1991, à Los Angeles avec la large diffusion des images par CNN de Rodney King tabassé par une patrouille du LAPD et filmé par un témoin – George Holliday – que cette pratique voit son essor. Elle se poursuit à Los Angeles suite aux émeutes de 1992 qui ont secoué la ville, et à la répression violente qui s’en suivit. Des équipes volontaires ont alors commencé à se réunir et à patrouiller dans les quartiers pauvres. Elles suivaient la police pour contrôler son action avec des caméras vidéo décorées d’autocollants « Protéger et servir », en référence aux écussons de la police états-unienne.
> En France, en 2010, est lancé un mouvement de copwatching à Paris, Lille et Calais : Copwatch Nord-IDF. En 2011, ils et elles publient sur une plateforme en ligne les profils de 400 policier.es d’extrême droite, ainsi que des rapports sur le harcèlement subi par les biffins à Paris (des vendeurs de rue dans le quartier Barbés).
Le syndicat de police Alliance a porté plainte contre le site, et le ministre de l’intérieur Claude Guéant en a demandé l’interdiction et a exigé aux fournisseurs d’accès (Free, Orange, SFR, Bouygues Télécom, Numéricable et Darty Télécom) qu’ils rendent inaccessibles les URL menant aux site principal et sites miroirs.
Le collectif a tenu un an et « s’est employé à infiltrer forums et groupes facebook de policiers pour en extraire un certain nombre d’informations compromettantes pour les forces de l’ordre, notamment sur le racisme inhérent à l’institution policière2. » Il a par ailleurs réussi à déjouer les tentatives étatiques pour le fermer en créant régulièrement de nouveaux sites miroirs.
DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUE : DE NOUVELLES PRATIQUES ET ENJEUX
L’arrivée des smartphones
Depuis 2011 et la généralisation des smartphones, permettant à tout un chacun d’avoir une caméra légère constamment sur soi, la pratique de filmer la police s’est considérablement développée, mais pas forcément toujours avec la volonté spécifique de lutter contre les violences policières. Il peut s’agir de filmer son quartier, faire des selfies, filmer des manifestations ou tout événement… Face à cette profusion d’images, l’enjeu réside alors dans le stockage, le recensement et la diffusion de ces images.
La question du stockage des images
En 2012, aux États-Unis, le NYCLU (New-York Civil Liberties Union – organisation de droits civiques) crée l’application l’application Stop and Frisk Watch pour stocker les images de violences policières en ligne et les protéger : en secouant le téléphone l’enregistrement s’arrête, ce qui envoie automatiquement la vidéo sur un serveur.
En 2020 en France, Amal Bentounsi (la sœur d’Amine Bentounsi, tué par la police en 2012) et le collectif Urgence la police assassine, ont développé une application similaire, « Urgence violences policières » (UVP), qui permet de stocker les images sur un serveur directement pendant la prise de vue.
Internet et les réseaux sociaux : recenser, diffuser, référencer
Il semblerait qu’aujourd’hui il n’y ait plus vraiment en France de groupes organisés de copwatchers, mais plutôt des filmeurs davantage isolés. L’organisation collective se joue alors dans la diffusion, le référencement et le stockage des images. Des personnes comme Ladj Ly ou Taha Bouhaff ont filmé leur quartier, mais ont aussi œuvré pour diffuser ces images via des films (365 Jours à Clichy-Montfermeil, collectif Kourtrajmé, 2007) ou via les réseaux sociaux, notamment Twitter. Dans la continuité, David Dufresne, aussi très actif sur Twitter, a créé le site « Allo place Beauvau » pendant le mouvement des gilets jaunes en France, qui a permis de recenser, diffuser, et ainsi visibiliser les exactions policières. Comme Ladj Ly, David Dufresne a poursuivi ce travail sous forme d’un film, Un pays qui se tient sage (2020), offrant une autre vie à ces images. Il continue à être actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitch.
En Belgique, la pratique du copwatching en tant que prise de vue est davantage une pratique individuelle que liée à des groupes institués. Cependant, les images sont relayées via différents réseaux : des comptes individuels particulièrement actifs sur Snapchat, qui stockent et relayent des vidéos, les comptes de groupes militants tels que la JOC (Jeunes Organisés et Combatifs), et leur campagne « Stop répression », Bruxelles Panthers, ou les collectifs de familles (Justice pour Lamine, Justice pour Dieumerci Kanda, Justice pour Adil, Justice pour Medhi, et tant d’autres, qui sont actifs sur Facebook notamment, pour relayer d’autres affaires de violences policières), des ASBL (associations) telles que Police Watch de la Ligue des Droits Humains et l’Observatoire des violences policières (Obspol), ainsi que des médias alternatifs engagés tels que Zin tv, Médor, Indymédia, Stuut info, Bruxelles Dévie, etc. Tous ces acteurs et actrices (et cette liste est loin d’être exhaustive !) contribuent à construire un contre-récit sur les violences policières en Belgique. Le groupe indépendant de recherche et de contre-enquête Retrace qui a vu le jour en novembre 2023 mobilise également des vidéos filmées par des témoins en s’inscrivant dans les méthodes d’enquêtes OSINT (« Open Source Intelligence » ou « Renseignement de Source Ouverte »).
Sources :
- « Copwatching et perception publique de la police. L’intervention policière comme performance sous surveillance », Michaël Meyer, 2010.
- « Le copwatching, nouveau terrain de lutte pour la liberté d’expression ? », Félix Tréguer, 2012.
- Le film : Copwatch, la police dans le viseur – Alexandre Dereims et Alexandre Spalaïkovitch,2013.
- Copwatch France (notamment pour l’historique du mouvement – site accessible qu’avec VPN ou en dehors de la France)
- Site de Désarmons-les.
1 « Le copwatching, nouveau terrain de lutte pour la liberté d’expression ? », Félix Tréguer, 2012.
2 https://desarmons.net/2020/06/04/le-copwatching-doit-renaitre-de-ses-cendres/